Denis Martinez chez Mosaïques Blida
L’artiste peintre Denis Martinez se trouve dans sa ville d’adoption, Blida, et c’est l’occasion pour l’association des artistes peintres de Blida, Mosaïques, de présenter le documentaire réalisé par Claude Hirsh en 2012 portant sur la vie professionnelle de Denis Martinez, intitulé « Un homme en libertés ».
Salle du Club hippique de Blida bien remplie, des artistes d’Alger et de Blida dans des domaines aussi variés que la peinture, le dessin, la musique, le théâtre présentes et présents pour la circonstance et un Denis Martinez toujours égal lui-même : volubile, voix tonitruante, tantôt amusée tantôt emballée par les réactions du public.
Une communion naissait au fil du temps de la projection et du fructifiant débat qui s’en suivit. Quelques étudiantes en langue étrangère assistaient pour la première fois à ce genre d’animation et deux filles originaires de la lointaine Tamanrasset ont considéré ces deux heures de présence au contact de l’artiste et du monde alentour comme un véritable cadeau de fin de cursus. « Nous avons passé cinq années à Blida, mais cloîtrées dans notre cité et jamais invitées à une animation culturelle tout comme cela a manqué à l’intérieur de notre résidence » dira l’une d’elles.
Denis aurait crié de rage ! Tout comme il avait crié lors de la sortie de ses étudiants en 1988 pour le « dernier cri d’un mur », allusion à la démolition d’un quartier à Blida rattaché à la maison close, considérée alors par la nouvelle vague comme une tâche sombre dans la société conservatrice et qu’il fallait effacer à tout prix.
Denis Martinez et ses étudiants des beaux-arts avaient alors pu exprimer « le dernier cri » de survie de ces murs avant leur démolition. « J’ai reçu toutes les autorisations et « on » m’avait tout permis du moment que le mur allait être détruit et que nulle trace n’allait demeurer » expliqua l’artiste dans sa rencontre avec le public au Club hippique de Blida. C’était la peinture au jour le jour, délire d’un moment de liberté arraché au Pouvoir, à tous les pouvoirs et que les « marchandes de sexe » avaient vite visualisé avant de s’évanouir dans la nature. Où sont-elles aujourd’hui ? Que font-elles ? Perçoivent-elles une retraite ? Nul ne le sait, à moins d’aller fouiller du côté des archives du 1er arrondissement de la police urbaine, aujourd’hui également délocalisée dans des bâtiments plus sûrs, plus confortables.
Comment Denis avait-il eu l’idée de marquer cet événement ?
Il répondra tout simplement qu’il a toujours été du côté de celui qui se sent plus faible, plus démuni. D’ailleurs, son principal ami à Blida est le « maâlem » Bahas,
plus de 70 berges et qui continue à animer des soirées, au gré des programmations de l’Etat, c’est-à-dire très peu en une année. La dernière en date, à la mi-mai, a pu avoir lieu grâce à l’intervention de l’artiste auprès des autorités locales de la ville, par le biais de la manifestation, « Printemps de Blida ».
Denis Martinez se meut dans cet espace qu’est la ville, sans filet et sans secret : « Je suis naturel et j’aime la nature » dira-t-il. Cela donne un homme exubérant, rigolant avec tout le monde, mêlant vie d’homme et vie d’artiste. Tout est motif pour son regard et Blida le lui rend bien. Les gens le saluent, il y répond d’une voix enjouée, forte et avec une gestuelle large. Un homme « démocratique » ! Les « amis » artistes de Blida, au travers de leur association « Mosaïques de Blida »,
reconnaissent en lui un véritable ami qui leur a promis une contribution à leurs manifestations culturelles.
Il aimerait d’ailleurs tant intervenir dans l’architecture et le tissu social de ce qu’on appelle encore « ville des roses ». Lors de la projection du documentaire et du débat qui s’en était suivi, celles et ceux qui avaient la ville dans les veines se sont emportés contre le délabrement, l’absence de respect des normes urbaines. « Même l’injustice sociale découle également de ce semblant d’anarchie » s’emportera un des présents. Denis Martinez ramènera les présents à son travail, à « l’élément graphique symbolisé par le point ».
Il précisera : « Je préfère que ce point soit le début, la goutte de rosée, le miel du début de la vie, la semence, la graine » et il conclura : « Tout naît d’un point et ça peut devenir un trait. »
Là, il aura répondu à la question d’une étudiante qui cherchait à comprendre l’emploi du point et du trait dans les œuvres de l’artiste-peintre. Même les visages sont sous forme de points. « C’est tout un travail sur les signes, notamment les signes à caractère divinatoire, tels qu’ils m’avaient été enseignés à Djanet par un Targui, le « khitt er’mel ». Les événements de la « décennie noire » seront également abordés, des événements sombres à l’origine du départ de nombre d’artistes à l’étranger, de la mort de dizaines d’entre eux, assassinés. Denis Martinez expliquera que les couleurs très fortes, très vives, ne sont pas automatiquement gaies tout comme les couleurs sombres n’expliquent pas la tristesse.
« Je vis au jour le jour, au fur et à mesure, conditionné par le quotidien » révèle l’auteur en réponse à d’autres questions. Un homme en libertés, oeuvre de Claude Hirsh, c’est également les points, les tatouages, le « win machi » [où vas-tu ?] de l’errance de l’artiste troubadour à un moment de sa vie, après avoir quitté l’Algérie. Cela demeure toujours une constante, une interrogation, en référence à l’africanité, la berbérité et même latino-américaine d’un artiste en quête du signe et qui a été – avec Choukri Mesli- à l’origine de la création du groupe « Aouchem » en 1967, déjà ! Suivra le mouvement « Sebaghine », avec notamment Karim Sergoua,
le « Raconte arts » de Hacène Metref, un festival défricheur, itinérant à travers les villages de Kabylie. Denis Martinez se veut membre de toutes les manifestations populaires sortant de l’ordinaire. Il dira : « Je me suis identifié à un trottoir cassé », [m’kesser] parce que mon oeuvre n’est jamais terminée et c’est en même temps l’expression d’un acte éphémère.
Inclassable l’artiste ! Il est passé quelques jours avant dans une école privée de Blida, l’établissement En nadjah, où il a eu à évoquer son art à des collégiens et où il avait tenu à adresser un message : « C’est maintenant, à cet âge, votre âge, que votre personnalité se construit. »
Il distilla des notions de liberté, d’innocence que les enfants semblaient avoir assimilées.
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