De ma fenêtre, Blida est contée

Article : De ma fenêtre, Blida est contée
Crédit:
22 mars 2018

De ma fenêtre, Blida est contée

Expérience d’une nouvelle rédigée à trois, chacun de son côté. La thématique est « De ma fenêtre ». Nous nous y sommes mis à trois, Rima au Liban, Samantha au Sénégal et moi en Algérie, pour évoquer nos impressions et décrire ce qui nous passe par la tête. Une belle initiative sur Mondoblog, à renouveler je pense…
L’honneur m’a été donné de commencer : « De ma fenêtre, Blida est contée ».

Le lever du soleil tardait ! Je me morfondais dans mon coin, incapable de bouger, surtout depuis l’accident fatal qui emporta ma femme et notre enfant aîné. La lumière me faisait oublier quelque peu cette profonde tristesse dont je n’arrivais point à me détacher. Cela remonte à vingt ans déjà. Le sort –mauvais- s’est acharné sur moi. J’ai perdu à la fois deux êtres chers et mon travail. Je perçois toujours un salaire mais finie la rencontre avec les collègues, fini le brouhaha de la classe, finies les disputes avec l’administration… Alors de ma fenêtre, Blida est contée.

Une classe de collège à Blida. Ph. Mekfouldji

Que dire encore des corrections de copies et de la sensation de servir à quelque chose dans ce bas monde. Depuis l’accident, je reste là à longueur de journée, à scruter le ciel, à prier le destin ou le hasard pour qu’une personne passe au bas de ma fenêtre. C’est vrai que la télé m’apporte les nouvelles du monde mais où sont celles du quartier, les médisances, les remarques et observations sur chacun et chacune de nos habitants du quartier ? Seuls Djamel et Ali, des amis de longue date, peuvent me faire part non pas des ragots mais de l’information capable de me lancer dans un imaginaire qui remplit mon temps. Que peuvent savoir les êtres de la solitude quand ils n’ont jamais été emprisonnés ? Que peuvent-ils savoir alors qu’ils n’ont jamais été empêchés de bouger, de se mouvoir ?

J’étais donc là à me morfondre, lorsqu’un bruit distinct de talons tapant le sol, à un rythme que seules les femmes savent imprégner, me fit tourner les yeux du côté de la fenêtre largement ouverte. Il faudra que je dise à Djamel de me chercher un maçon afin d’apporter des correctifs à cette ouverture : 3X3 serait la norme maintenant ! Je dois brasser large…

Fenêtre fermée pour un pigeon. Ph. Mekfouldji

Je vis d’abord une poitrine secouée par l’élan brusque de la marche puis une tête à la peau noire avec des cheveux si longs que je n’en voyais pas le bout, sans doute pris également par le visage et la couleur de la peau ! Une jeune femme, la trentaine, un jean serré, une chemise claire qui faisait ressortir la fore des seins, et des lèvres en avant, comme si elles voulaient capter quelque chose ou s’exprimer à haute voix. Une femme originaire du Sénégal ? du Niger ? du Mali ? de l’Angola ? Je l’ignore. Je ne le saurai que lorsque je l’aurai entendue parler ou lorsqu’elle aura l’occasion de se présenter… Elle s’arrêta juste au-dessous de ma fenêtre et ouvrit un journal. Je ne pouvais lire et rallonger le cou me faisait souffrir. Une idée de génie (?) me vint : je fis tomber le roman que je lisais, « Nos richesses » d’une jeune
romancière algérienne, Kawther Adimi, et, du 2ème étage, j’ai crié : « Faites-moi monter mon livre, je suis handicapé ! » Je n’aimais pas ce mot mais que ne doit-on pas faire afin d’arriver à ses fins. Trois minutes après, on frappa à ma porte.

  • Entrez, c’est ouvert !

Une belle femme noire –est-ce raciste de ma part de préciser la couleur de la peau ?- était debout à l’entrebâillement de la porte, inspectant les lieux d’un simple regard circulaire.

De quel pays peut-elle être ? Ph. Mekfouldji

Je l’invitais d’un mouvement de la tête à entrer. Elle le fit en oubliant de fermer…la bouche. Elle état sûrement étonnée de me voir allongé sur un lit, les jambes écartées. Il m’était impossible de joindre les deux membres inférieurs, suite à l’accident qui m’a fait perdre jusqu’à l’usage de « ces deux roues humaines ». Elle prenait confiance au fil des minutes qui passaient et osa faire deux pas en avant. Elle avait une allure fière, celle de la jeunesse ayant acquis de l’expérience et qui ose aborder toute situation avec un sourire en coin. Elle posa le livre sur un angle du lit et me posa une question à laquelle je ne m’attendais point : « Pourriez-vous me présenter cette auteure en quelques mots ? » J’étais tout content intérieurement ! Cela allait me faire de la compagnie pour un bon bout de temps, certes un temps relatif mais qui me changerait de la monotonie des heures qui passent à longueur de journée sans que rien de significatif ne se déroule. « Une auteure qui s’affirme dans le ciel de la littérature algérienne francophone » commençais-je et elle m’arrêta gentiment : « Non, j’aimerais avoir une idée sur le contenu, la thématique traitée dans ce livre. » Je n’ai pas osé lui demander ce qu’elle faisait comme études ou comme travail, ni même d’où elle venait, même si je commençais à me dire intérieurement qu’elle devait sans doute être originaire d’une de nos villes du Sud : Adrar, Ouargla, Tamanrasset… Je mis du temps à répondre à sa question mais j’eus tout de même la politesse de l’inviter à s’asseoir. Elle s’exécuta après une hésitation qui me sembla feinte, dur que j’étais dans le jugement des gens après deux décennies d’immobilisme. Je lui ai demandé d’aller à la cuisine et de nous servir une boisson fraîche. Là encore, elle marqua un temps qui me parut long. Elle avait un bras tendu et la tête tournée vers la porte d’entrée. Allait-elle décider de partir ? de fuir cet handicapé qui cherchait sûrement de la compagnie ?

Allait-elle partir ? Ph. Mekfouldji

Abdelkrim MEKFOULDJI, le Doyen

Étiquettes
Partagez

Commentaires