Abdelkrim Mekfouldji

Alger l’imprenable, de Djamel Rebbach

« Nous défendrons Alger et c’est en vain que vous essaierez d’en enlever une seule pierre. »

Kheir-Eddine à Moncada, en 1519.

Djamel Rebbach termine ce qui lui tient à cœur : deux tomes sur le règne de Kheir-Eddine Barberousse, à Alger, au XVIe siècle. Beaucoup de détails avec des dates, des noms de lieux et de personnes, une ambiance de guerre où les morts ne se comptent plus.

Le bassin méditerranéen est submergé de bateaux, de galères, d’esclaves, de guerriers — non, de pirates, selon Charles Martel — et un marchandage sans fin où des célébrités sont faites prisonnières, telles Cervantès et des prisonniers devant des commandants de navires et bataillant pour la Grande Porte (Turquie) ou pour le roi de France.

L’auteur a pu ramasser moult détails afin de créer un fil auquel le lecteur saura s’attacher pour ne pas se perdre dans les méandres des batailles à Malte, à Oran, à Alger, à Nice, à Chypre, etc… Le vertige créé à partir de ces noms de lieux sera égal à celui des noms qui s’entassent, s’agglutinent au fil des pages. L’arrivée sera époustouflante : un gouverneur, connu pour un être un pirate des mers, sera décrit comme un fin stratège qui saura donner à Alger l’aisance d’un gouvernorat.

Un des exemples, en 1550, sera la création de la ville de Koléa où les Morisques persécutés par l’Inquisition espagnole, se verront offrir les premiers édifices bâtis par Hassan Pacha, le fils de Kheir-Eddine. Même l’hôpital d’Alger, premier asile en Algérie, sera construit la même année.

Auparavant, en 1546, c’est la ville de Médéa qui sera la capitale du beylik du Titteri, mais rien n’interdisait les incessantes attaques des Européens, du côté de Tlemcen, de Mostaganem. Le lecteur aura à cœur de découvrir et de comptabiliser les attaques-défenses dans une région où le guerrier, l’otage, l’esclave seront cités au quotidien, tout comme les noms des embarcations et les structures militaires de l’époque.

Un livre-référence que tout un chacun se fera un plaisir de compter dans sa propre bibliothèque, en attendant les débats et les titres devant répondre à celui de Djamel Rebbach, « Alger l’imprenable ».

Tome 2 du livre de Rebbach


Le griot Mohamed Bahaz à l’automne de sa vie

« Nul n’est prophète en son pays »

Les Évangiles de Luc et Matthieu

Bahaz, notre griot populaire de Blida, se meurt à petit feu. Sans aucune ressource et avec un confinement chez lui depuis plus de 5 mois, il se retrouve sans le strict minimum. Il est artiste mais ne touche pas cette fameuse aide financière propre aux artistes. Handicapé physiquement, il lui est paru anormal qu’il aille faire le pied de grue devant l’administration pour… 3 000 DA mensuels (15 euros). L’artiste véhicule tout un patrimoine culturel, un maître du Gnaoui. On peut voir un documentaire réalisé par Dominique Devigne où une biographie vivante du Maalem est retracée avec l’assistance de Denis Martinez.

C’est un grand percussionniste, auteur dans le film « La Bataille d’Alger » de toutes les percussions.

Aujourd’hui, il meurt tout doucement, tragiquement. Aux âmes généreuses, son numéro de téléphone… Qui ne sonne plus : 0554 764 419. Le téléphone de sa fille : 0771 387 989.

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, il est natif de Blida, à Douirette. Il est laissé de côté aux alentours de la ville, à Mimèche, une colline revêche.

Un gnawi qui vivait au milieu de plus de cinq « dar gnawa », à Blida. Un genre à part, venu de l’Afrique profonde. Qu’en reste-t-il ? Avec Mohamed Bahaz, le dernier bastion d’une culture va disparaître.

Répétition avec Denis Martinez, à Kouba. Ph. Mekfouldji
Bahaz à l’automne de sa vie. Ph. Mekfouldji


La salle Touri sera rendue aux citoyens…

« La culture… ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers. » (andré malraux).

Hadjadj Hacène, entrepreneur chargé de la rénovation et de la restauration de la salle Touri à Blida est catégorique ce mardi 11 août : « La salle Touri sera rendue aux citoyens avant la fin de l’année. » Ce n’est qu’après insistance et sur la base d’un accord sur un avenant que la date a été avancée. Il faut dire que les piliers métalliques qui jonchent les trottoirs juste au tournant gênent la circulation piétonne et l’entrepreneur attendait l’autorisation pour une grue depuis le mois de mars. Il a suffi d’un papier attirant l’attention des autorités sur les risques d’accident pour qu’on appelle l’entrepreneur afin qu’il vienne retirer la dite autorisation.

Labyrinthe de la salle. Ph. Mekfouldji

Étonnement du dit monsieur : « l’autorisation était signée depuis le mois de mars et on ne l’a pas avisé ! » Qu’ils ne disent surtout pas que c’est la faute au confinement. L’entreprise est sur le terrain depuis plus de trente années et cette longue expérience vaut à son chef toute la clairvoyance au sujet des méandres de la bureaucratie algérienne. Il n’a pas voulu s’étendre là-dessus mais il a donné rendez-vous à la mi-septembre afin de voir ces piliers à leur place à l’intérieur de la salle. Cela équivaut à une accélération des travaux puisqu’il restera à équiper la salle en sièges, en sanitaires, en luminaires et tout ce qui viendra rendre son âme à un lieu mythique pour la ville de Blida. C’est la seule salle de spectacles du domaine de l’État et qu’il conviendrait de céder à une association théâtrale afin que la vie culturelle renaisse.

L’entrepreneur se justifie…Ph. Mekfouldji

Il est plus temps puisque l’enveloppe de 16 milliards de centimes allouée depuis le début de l’année 2019 existe et que la salle plus que centenaire (inaugurée en 1898) rouvre ses portes.

Il est sans doute important –ou intéressant- pour les jeunes d’aujourd’hui qu’ils sachent que cette salle avait abrité des manifestations culturelles de Marcel Khelifa, El Anka, Nouni, Guerouabi, Kessoum, Briali, le ténor César Vezzani, les hommes de théâtre Medjoubi, Hassan El Hassani, Bachtarzi, Mustapha Kateb, Touri, Keltoum, …

Ph. Le Soir

Que re-vive la culture à Blida !


Traversée du désert de l’artiste-peintre IRKI ?

« Une peinture simple c’est pour un peintre simple ». Mahmed IRKI



Mahmed IRKI est né le 9 avril 1948 à Médéa. À deux ans, la famille déménage à Blida. Durant sa scolarité, l’évidence de la naissance d’un artiste peintre était soulignée par tous ses enseignants, à Blida tout comme à Constantine où il suivit ses études secondaires. Tout naturellement, son entrée à l’école nationale des Beaux-Arts au début des années soixante-dix permettra d’affiner le trait, d’être parmi les meilleurs élèves d’Issiakhem qui le traitait comme son fils et de l’école impressionniste.

Il sera enseignant à l’ITE de Bouzaréah, s’engagera dans la presse écrite, au service de Marketing jusqu’à l’année 1994 où il échappera à deux reprises une liquidation physique  et dont il gardera des séquelles à la suite de sa chute du train qui l’emmenait à Alger. Horizons, Parcours maghrébins, Algérie Actualité qui s’habituaient à sa frêle silhouette de 1986 à 1994 perdront un être doué de sens, plein de sensibilité puisqu’il enseignait à Abane Ramdane à un groupe de sept jeunes personnes pendant à raison de deux  séances par semaine dans un salon de thé loué en exclusivité durant deux années, en 1990. Il ouvrira à Blida un atelier pour l’apprentissage du langage pictural au niveau du centre culturel El Manar à la place du 1er Novembre à Blida.

Il participera à plusieurs expositions, individuelles et collectives, notamment à l’hôtel Aurassi en 1988 (1ère exposition et qui eut un grand succès selon la presse), à la salle Ibn Khaldoun, au Bastion 23, à El Kettani, à Blida. Il côtoyera Issiakhem,  Baya et Denis Martinez dans des manifestations collectives. Ce dernier, Denis Martinez,  fut également son enseignant. Le nom de Irki est synonyme aujourd’hui de formateur, de peintre sensible, d’amoureux de la mer et du bleu, des fleurs et de la verdure. Il dira à ce propos : « Je tente mille expériences, du pinceau aux doigts, de la main au crayon, afin de saisir ce qui peut paraître inconcevable, l’âme de toute chose. J’avais même travaillé avec les pieds, travaillé les yeux bandés afin d’éprouver la sensation d’un non-voyant. D’ailleurs, le monument de la peinture européenne, Michel Henry, décédé en 2016,  voulait que je m’installe en France après une discussion à bâtons rompus en France en 2003, où il avait apprécié mes travaux avec la plume et les encres et s’étonna de me voir ne pas travailler sur des modèles. » Il poursuit : « La fleur, notamment la rose, est si fragile à sa naissance, autant que moi et je respecte cette nature qui nous permet d’apprécier la vie, une vie éphémère pour tout le monde. En hommage à ma mère, j’avais appelé une de mes expositions à Chenoua et à Bab Ezzouar « Hommage à maman», elle qui aimait beaucoup les fleurs et les plantes dont elle ornait toute la maison. » Pour lui, « chaque peinture est devenue une aventure particulière avec des tentatives au moyen de palettes, d’encres d’imprimerie et autres techniques qui donnent à la fin ce concept fondateur constituant sa démarche dans sa production ».

Sur la réception et l’appréciation de son travail par la population, il aura cette déclaration : « En 2003, je fus invité à Paris pour une exposition bi-annuelle et je fus tout étonné de voir le maire de la commune de Pontault Combault, dans la région parisienne, Jacques Heuclin,  venir lui-même m’accueillir à la sortie du quai. J’en fus très touché ! »
Aujourd’hui, l’artiste peine à Blida à être reconnu par l’administration dans le cadre des aides apportées à tous les artistes. Homme réservé et surtout très modeste, un artiste dans son sens pur, Irki affronte courageusement les affres d’une vie devenue trop individualiste.
Le cri Ph. Mekfouldji
Le violon Ph. Mekfouldji
Fleurs Ph. Mekfouldji
Hiver à Talaguilef Ph. Mekfouldji
Atelier encombré Ph. Mekfouldji
Le peintre au milieu de ses oeuvres
Le peintre au milieu de ses oeuvres Ph. Mekfouldji


La rose de Blida

 » Seul le rossignol comprend la rose. »

Proverbe indien
Elles sont là, loin du tumulte… Ph. Mekfouldji

Elle s’essouffle, elle tend sa grâce vers la courbe de l’échine en ces lieux connus pour être le paradis de ses semblables. Mensonges ! La rose de Blida a perdu sa couronne, elle devient une plante quelconque, même pas de la famille de ces fleurs dites « sauvages ». C’est elle, la rose, qui devient sauvage ! Elle a même reçu dernièrement une consœur faite de plastique en se voulant éternelle… A Blida, petit à petit, la rose à laquelle s’identifiait toute une ville, est devenue anonyme.

Sous les feux de la rampe…Ph. Mekfouldji

Fini le temps où des sillons permettaient de l’irriguer avec une eau limpide ayant traversé un oued qui puise son origine dans les espaces du Saint de la ville, Sidi Kebir. Cette fleur, au nom porté dès la naissance par nombre de filles, Warda, n’émerveille plus dans sa ville d’adoption, Blida. Les quartiers de la ville l’ont reniée depuis des décennies, les plantes sauvages et la saleté ont pris sa place. Béton, brique, ciment, grisaille : l’ambiance d’amertume ne peut même pas être remplacée par des coups de pinceaux de peinture, même « moderne »! Un mur demeure un mur, un espace fermant l’accès à l’extérieur ou à l’intérieur, c’est selon. Une rose existe pour sa beauté, ses couleurs, ses senteurs, sa fraîcheur, son exubérance.

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Roses symbole. Ph. Mekfouldji

Autrefois, des maisons portaient des noms de fleurs : Géraniums, Glycines, Lilas, Roses, …  ! Elles ne sont plus là désormais pour rendre compte d’un passé qui a été rasé. Les maisons-châteaux d’aujourd’hui sont anonymes ou c’est de la même famille de « C’est un don de Dieu ». Dieu a permis de construire en détournant, pour beaucoup, des millions de dinars. Leurs propriétaires plantent aussi des fleurs mais on devine avec quelle absence de goût ! Puisqu’elle n’est pas appréciée à sa juste valeur, la fleur dans ces espaces s’ennuie. Les résidents de ces espaces passent sans la renifler, sans la regarder et elle finit par s’y habituer. Dur de ne pas se faire reconnaître dans cette jungle sans âme. Elle se laisse alors envahir sans regrets par des plantes sauvages et des insectes viennent la butiner, lui ôtant, sans vergogne, son apparat au travers de ses pétales imbibés de rosée et de lumière.

La rose au fil des années, des décennies…

Finis les jours, les mois et les années où une symbiose s’installait entre la fleur et son jardinier, finit l’amour qui les liait et la complicité qu’ils présentaient devant Dame Nature. Les pépinières, dernier espace où la fleur de Blida trouve refuge, font se rencontrer les gens ayant à l’esprit la beauté de cette reine.Mais cela démontre que les espaces familiaux n’entretiennent plus au quotidien ces fleurs, et que les résidents de cette ville préfèrent les acheter en bouquets pour des cérémonies. Elles ne tarderont donc pas à flétrir, à faner puis à rendre l’âme. 

Fleur ou gâteau, tu seras enseveli…Ph. Mekfouldji