J’ai mis fin à mon contrat d’enseignant
Le 23 janvier 2019, jour de mes 65 ans printemps –ou automnes, c’est selon- j’ai mis fin, volontairement, à mon contrat d’enseignant me liant à un lycée privé de la ville de Blida, en Algérie. Un cumul de pression, de marchandage avec les élèves pour une meilleure entente en classe ont nui à mon enseignement. Non pas qu’ils recouraient à la violence physique ou verbale mais, étant pour la plupart des enfants de familles aisées, ces enfants refusaient d’apprendre. Ils assistaient aux cours afin de ne pas être portés absents, faisaient œuvre de présence aux yeux de leurs parents et de l’administration de l’établissement.

À la fin de l’année, ce sont les enseignants qui sont pointés du doigt pour ne pas avoir su inculquer du « savoir » dans les têtes de ces enfants, qui refusent toute idée d’effort, de recherche, de concentration, d’écriture même. L’enseignement est devenu difficile, réellement !
J’avais beau tenter de leur ramener des textes d’actualité, des extraits d’ouvrages précédés par de courtes biographies des auteurs, leur donner des polycopiés pour les laisser se concentrer uniquement sur le débat en classe, les échanges, la recherche des problématiques… Rien n’y faisait ! Les récalcitrants à l’effort, en majorité des garçons, préféraient parler de leur portable, des dernières sorties en groupe. Ils se jetaient des blagues les uns aux autres avec des rires bruyants, indisposant le rare nombre d’apprenants venus justement pour assimiler des cours du programme, le bac étant leur ultime objectif !

Plus de quarante années d’enseignement, et des générations d’élèves, arrivant même à enseigner au père puis à l’enfant : j’étais sans doute arrivé à saturation. J’ai choisi librement le métier d’enseignant au temps où toutes les portes de l’emploi étaient ouvertes. Le renouvellement des supports pédagogiques m’a permis de me mettre à jour et d’être au plus près des exigences du métier, même sur le plan psychologique. J’ai constamment gardé le dialogue ouvert, ce qui fut considéré comme une faute par le surveillant général… Lorsqu’il a appris ma décision de démissionner, il a dit au proviseur de l’établissement : « C’est de sa faute, il n’a pas su imposer son autorité en classe. » Comment imaginer une classe de langues sans débat, sans dialogue ? Alors qu’elle doit justement servir à l’acquisition des rouages de la langue française ?

Je leur ramenais des auteurs et écrivains, des cinéastes pour parler d’œuvres faisant l’actualité. Les parents d’élèves et l’administration étaient reconnaissants sur ce point. Nombre de classes ont participé à la préparation des venues d’écrivains aussi illustres que Amin Zaoui, Adlène Meddi, Samir Toumi, le cinéaste Bachir Derrais, le caricaturiste Slim, un peintre…

Il n’était nullement question de reconnaissance mais d’une forte tentative d’intéresser le jeune lycéen à la chose culturelle. Je ne voulais pas qu’il soit une simple machine à ingurgiter les notions inculquées pour les ressortir le jour de l’examen. Après quatre années de présence active dans cet établissement, ma santé mentale a flanché en ce début d’année 2019. Surtout que les critères d’admissibilité des élèves dans cet établissement ne remplissaient pas les conditions requises pour plus du tiers de chaque classe. Nous nous retrouvions avec sur les bras des élèves illettrés, incapables de déchiffrer des mots en français langue étrangère, après plus de 12 ans de présence sur les bancs des écoles. Comment étaient admis ces élèves ? Nul ne semble détenir la réponse ! Ces élèves s’ennuient alors en classe et gênent les autres. Incapables d’efforts et conscients de leur grand écart de niveau, ils refusent même les cours particuliers pour rattraper ce qui pourrait l’être.

À défaut de voir ces élèves renvoyés avec une orientation vers l’apprentissage de savoirs manuels, j’ai préféré lever l’ancre moi-même et m’éloigner de ces rivages devenus trop houleux pour moi.
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