Abdelkrim Mekfouldji

Sid Ahmed Benarbia, chantre de Blida

Benarbia Sid Ahmed, 68 ans, chantre de la ville des roses, avait quatre ans quand les premières balles de la guerre d’indépendance furent tirées. Le Machiavel blidéen tire sûrement sa source et sa verve de ce combat libérateur. Nombre de personnes de sa grande famille tombèrent au champ d’honneur quand d’autres vécurent ou vivent encore modestement, à l’abri de l’appât du Pouvoir de l’argent avec tout ce que cela suppose comme corollaires.

Benarbia est de tous les combats justes. Ph. Mekfouldji

C’est Sid Ahmed Benarbia qui déclame : »Sans la conscience et la sagesse  la loi et la justice deviennent anarchie. » Les maximes et citations du Cheikh –il aime bien porter ce titre- ne laissent pas indifférents. C’est le Sage qui abat « doucement » ses cartes : « La rage de la nage a une limite d’âge. » Le lecteur ou destinataire s’immobilise, pèse les mots, ne peut empêcher un regard d’estime vers ce poète aux cheveux grisonnants, toujours à la recherche d’une philosophie à cette vie.

  Recueil de poésie de 63 pages.   Ph. Mekfouldji

Amour, argent, renommée, âge, jeunesse, beauté : nul terme n’a été laissé de côté ! Tout est sujet à une maxime, sans parler de la poésie. Bab zaouia explique quelque part ce penchant vers le chaabi, le melhoun : Bab Zaouia est un des plus anciens quartiers de la ville de Blida, jaloux de ses us et coutumes, laissant rarement échapper un de ses enfants vers la vie infernale. Passer une journée dans ce quartier c’est se trouver bercé par les mélodies, même silencieuses, émanant des étroites ruelles où tout se tait, tout se cache mais où tout se dit entre…frères, entre sœurs.

Ruelles typiques de Bab Zaouia. Ph. Mekfouldji

« Même si le cœur cache ses secrets dans un tiroir de la mémoire, le visage les reflète comme dans un miroir » rappelle le Cheikh qui avait côtoyé Dahmane Benachour, Hadj M’rizek et qui fut l’auteur de recueils de poésie populaire en arabe dialectal. Il s’exprime dans les langues arabe littéraire, arabe dialectal et langue française. Le charme de ses écrits s’illustre dans les « qaadate » et le poète, membre de l’Office National des Droits d’Auteur –ONDA- ne tarit point d’éloges sur sa ville natale, la ville des roses, tout en fustigeant celles et ceux qui se laissent emporter par le mercantilisme, la traîtrise, la corruption et l’absence du respect d’autrui.

Place de la Liberté, haut symbole actuel du Hirak. Ph. Mekfouldji

La situation actuelle du pays ne laisse point indifférent Sid Ahmed Benarbia qui s’avère un militant très actif pour la restauration et la récupération des salles de spectacles de la ville de Blida, à l’image de la salle Touri, ex. Capitole.

Sid Ahmed épris de culture, pour la restauration de la salle Touri. Ph. Mekfouldji

Son rapport à l’argent se laisse deviner dans un des vers du poème consacré à cette importante thématique : « Elli djereb rah gal : elmel heddem edjebel » (Celui qui a essayé a déclaré : L’argent a démoli des montagnes).

Le poète demeure un personnage incontournable de la vie culturelle à Blida et il peut sans fausse modestie, se parer du titre de « cheikh » que personne n’aura le courage de lui nier.


En Algérie, la protestation politique éclipse la CAN

Dimanche 23 juin, l’Algérie a remporté son premier match de Coupe d’Afrique des nations, deux buts à zéro, face au Kenya. Mais dans les grandes villes du pays, la politique fait plus parler que le football africain.

Les Fennecs ont réalisé une entrée sans encombre dans la compétition. Les Algériens ont battu les Kenyans facilement. Mais à travers les rues de Blida et d’Alger, les discussions étaient ailleurs. La fête était à la lutte contre la corruption.

Un record mondial a été atteint en Algérie avec pas moins de cinq anciens premiers ministres entendus par la justice. Deux d’entre eux ont été écroués : messieurs Ouyahia et Sellal. L’objectif est de nettoyer tout le terrain politique de ces magnats. On parle quand même de 50 000 milliards de dinars algériens, soit 500 milliards d’euros. En tout, pas de moins de douze personnalités sont impliquées. De quoi largement former une équipe de football, avec des remplaçants. 

El Harrach passionne plus que Le Caire


Chaque vendredi, le « hirak » continuer à réclamer la fin du système algérien. Le mouvement en est à sa 18e journée de protestation, avec toujours le même slogan : « DÉGAGE ». Cela vaut aussi pour le chef d’état-major Gaïd Salah, qui ne cesse de se mêler de politique, même si on lui reconnaît la paternité du démarrage des éliminations des gens du système.

L’actualité algérienne est indéniablement dominée par cet aspect de la vie au quotidien, quelque peu loin de la CAN 2019. Même si plusieurs dizaines de supporters, surtout venant de France et d’Allemagne, ont fait le déplacement au Caire et sont heureux de fêter la première victoire de leur équipe. Alors l’oreille reste suspendue aux résultats des poulains de Belmadi et des coéquipiers de Mahrez, mais la priorité demeure : « À qui le tour de prendre le chemin des quatre hectares ? » (synonyme de la prison d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger).
La victoire contre le Kenya n’était que la cerise sur la gateau pour tout ce peuple épris d’honnêteté politique.


La rue dit « non » à Bouteflika

Depuis plus d’un mois, le 22 février dernier exactement, la rue dit « non » à Bouteflika. Plus encore, toutes les couches sociales rejettent le système politique en vigueur dans le pays depuis juillet 1962.

Un peu d’histoire

Le 19 mars 1962, l’Algérie savourait un cessez-le-feu après sept années de guerre contre l’occupant français. Cependant, le Gouvernement Provisoire (GPRA), de mouvance politique nationaliste, fut écarté par l’armée des frontières dirigée par Boumediène et qui installera Ben Bella au pouvoir. Avant de l’en déposséder trois années plus tard, en 1965. Jamais ne sera alors donnée une chance aux hommes politiques de diriger le gouvernement et toute idée de démocratie, de multipartisme et d’ouverture fut bannie.

Une lueur d’espoir vint avec le soulèvement d’octobre 1988 et l’instauration du multipartisme. Mais les premières élections libres donnèrent la victoire aux islamistes du FIS, victoire volée par l’armée qui avait pris peur. Une décennie noire s’installa dans le pays avec, comme tribut à payer pour la démocratie, près de 200 000 morts.

Mohammed Boudiaf fut ramené du Maroc par le « système » et il eut à diriger le pays de janvier 1992 à la fin juin de la même année, soit durant six mois à l’issue desquels il sera assassiné à Annaba. Jusqu’à ce jour, on ignore tout des tenants et des aboutissants de cet acte.

Bouteflika sera alors rappelé, lui qui avait tout le temps été très proche de Boumediène et il eut une sorte de revanche à prendre !

Le peuple dit « NON ». Ph Mekfouldji

Il restera au pouvoir durant quatre mandats alors que la constitution ne prévoyait que deux mandats successifs. Cette fameuse constitution qui sera encore revue puisque le Président fut victime d’un AVC en 2014, mais qu’il continue à exercer le pouvoir par clan interposé. Finalement, à la veille d’un 5ème mandat pour lequel il s’est encore porté candidat, la rue dit « NON » à Bouteflika !

Tout le monde rejette le système. Ph. Mekfouldji

Depuis le 22 février 2019, chaque vendredi c’est la population dans toutes les grandes villes algériennes qui sort exprimer son rejet. Et c’est par secteurs professionnels que le pays rejette la mafia du pouvoir : avocats, juges, enseignants, médecins, étudiants sortent à tour de rôle exprimer leur ras-le-bol du système.

Bouteflika aura la ruse d’abandonner le 5ème mandat mais opte pour le rallongement du 4ème mandat jusqu’à l’installation d’un gouvernement provisoire et d’une assise pour l’édification d’une seconde république. Là encore, tout le monde rejette l’idée mais les responsables nommés par le président en exercice -en principe jusqu’au 28 avril, date limite avant l’entrée dans l’illégalité- poursuivent leurs rencontres avec les partis et même les capitales des puissances étrangères.

Même les jeunes disent « NON ». Ph. Mekfouldji

Le peuple n’en veut plus et il l’exprime à travers les réseaux sociaux, et pacifiquement, jusqu’à attirer la sympathie internationale.

Chaque vendredi la rue dit « NON ». Ph. Mekfouldji

Qu’en sera-t-il à la fin du mois d’avril ? Le printemps algérien -et non arabe- aura montré sa patience…


J’ai mis fin à mon contrat d’enseignant

Le 23 janvier 2019, jour de mes 65 ans printemps –ou automnes, c’est selon- j’ai mis fin, volontairement, à mon contrat d’enseignant me liant à un lycée privé de la ville de Blida, en Algérie. Un cumul de pression, de marchandage avec les élèves pour une meilleure entente en classe ont nui à mon enseignement. Non pas qu’ils recouraient à la violence physique ou verbale mais, étant pour la plupart des enfants de familles aisées, ces enfants refusaient d’apprendre. Ils assistaient aux cours afin de ne pas être portés absents, faisaient œuvre de présence aux yeux de leurs parents et de l’administration de l’établissement.

L’apprentissage n’intéresse qu’une minorité. Ph. Mekfouldji

À la fin de l’année, ce sont les enseignants qui sont pointés du doigt pour ne pas avoir su inculquer du « savoir » dans les têtes de ces enfants, qui refusent toute idée d’effort, de recherche, de concentration, d’écriture même. L’enseignement est devenu difficile, réellement !

J’avais beau tenter de leur ramener des textes d’actualité, des extraits d’ouvrages précédés par de courtes biographies des auteurs, leur donner des polycopiés pour les laisser se concentrer uniquement sur le débat en classe, les échanges, la recherche des problématiques… Rien n’y faisait ! Les récalcitrants à l’effort, en majorité des garçons, préféraient parler de leur portable, des dernières sorties en groupe. Ils se jetaient des blagues les uns aux autres avec des rires bruyants, indisposant le rare nombre d’apprenants venus justement pour assimiler des cours du programme, le bac étant leur ultime objectif !

Des documents polycopiés pour l’ensemble des élèves. Ph. Mekfouldji

Plus de quarante années d’enseignement, et des générations d’élèves, arrivant même à enseigner au père puis à l’enfant : j’étais sans doute arrivé à saturation. J’ai choisi librement le métier d’enseignant au temps où toutes les portes de l’emploi étaient ouvertes. Le renouvellement des supports pédagogiques m’a permis de me mettre à jour et d’être au plus près des exigences du métier, même sur le plan psychologique. J’ai constamment gardé le dialogue ouvert, ce qui fut considéré comme une faute par le surveillant général… Lorsqu’il a appris ma décision de démissionner, il a dit au proviseur de l’établissement : « C’est de sa faute, il n’a pas su imposer son autorité en classe. » Comment imaginer une classe de langues sans débat, sans dialogue ? Alors qu’elle doit justement servir à l’acquisition des rouages de la langue française ?

On dit « génération difficile ». Ph. Mekfouldji

Je leur ramenais des auteurs et écrivains, des cinéastes pour parler d’œuvres faisant l’actualité. Les parents d’élèves et l’administration étaient reconnaissants sur ce point. Nombre de classes ont participé à la préparation des venues d’écrivains aussi illustres que Amin Zaoui, Adlène Meddi, Samir Toumi, le cinéaste Bachir Derrais, le caricaturiste Slim, un peintre…

Denis Martinez avec le staff administratif de l’école. Ph. Mekfouldji

Il n’était nullement question de reconnaissance mais d’une forte tentative d’intéresser le jeune lycéen à la chose culturelle. Je ne voulais pas qu’il soit une simple machine à ingurgiter les notions inculquées pour les ressortir le jour de l’examen. Après quatre années de présence active dans cet établissement, ma santé mentale a flanché en ce début d’année 2019. Surtout que les critères d’admissibilité des élèves dans cet établissement ne remplissaient pas les conditions requises pour plus du tiers de chaque classe. Nous nous retrouvions avec sur les bras des élèves illettrés, incapables de déchiffrer des mots en français langue étrangère, après plus de 12 ans de présence sur les bancs des écoles. Comment étaient admis ces élèves ? Nul ne semble détenir la réponse ! Ces élèves s’ennuient alors en classe et gênent les autres. Incapables d’efforts et conscients de leur grand écart de niveau, ils refusent même les cours particuliers pour rattraper ce qui pourrait l’être.

Le nombre d’élèves dans certaines classes est décourageant. Ph. Mekfouldji

À défaut de voir ces élèves renvoyés avec une orientation vers l’apprentissage de savoirs manuels, j’ai préféré lever l’ancre moi-même et m’éloigner de ces rivages devenus trop houleux pour moi.


Le Mawlid, naissance de Mohammed

Le Mawlid célèbre la naissance de Mohammed, prophète de l’Islam et des musulmans. Elle se fête chaque année à des degrés divers. En Algérie, cela va des étendards représentant chacune des tribus de Timimoun au simple henné pour enfants dans quelques villes du nord du pays.

Mawlid, joie des enfants – crédit : Abdelkrim MEKFOULDJI

Ainsi, à Blida, les familles tiennent à cuisiner toutes sortes de pâtes : beghrir, r’fiss, tchekhtchoukha, mhadjeb et m’ârek ainsi que la fameuse « tamina », de la semoule grillée et mélangée au beurre et qu’on arrose de miel avant de la décorer avec de la cannelle.

Depuis quelques années, les écoles et les crèches fêtent le Mawlid, naissance du prophète, en répétant des chants religieux et en jouant des saynètes représentant les périodes du vivant du prophète. Dans les mosquées de la ville, des rappels sur la vie du Prophète sont enseignés la veille de la fête, une fête que renient les plus durs parmi les pratiquants, ceux qu’on appelle les « islamistes ». Ceux là ne veulent point entendre parler de « fête », de « commémoration » ou même de réjouissance pour les enfants.

La Tamina, indétrônable – crédit : Abdelkrim MEKFOULDJI

Daoud, un technicien dans une entreprise étatique, affirme que « ce jour vaut autant que les autres, même si l’État nous accorde un jour chômé et payé ». Au contraire de bien des collègues à lui qui courent les magasins et les trottoirs à la recherche de bougies, pétards, henné, poulets et cacahuètes. « Je ne peux imaginer une fête religieuse sans un repas plantureux et donner de la joie à mes enfants », assure Karim, un enseignant du secondaire dans un lycée de Blida. Le souk ou les grandes surfaces sont envahis la veille même du Mawlid afin d’accomplir ce « rituel » des courses propres à la commémoration de la journée.

Repas copieux en ce jour de fête – crédit : Abdelkrim MEKFOULDJI

Le soir du Mawlid, des enfants réunis en groupes déambulent dans les rues et jouent avec le « bouchikha« , un vieil homme dont le visage est masqué et qui joue au saltimbanque au milieu d’une « halqa » -une ronde- avec comme objectif d’amuser la galerie contre quelques dinars, des bougies ou des gâteaux. Cela dure jusqu’au milieu de la nuit.

Dans les maisons, bougies et encens donnent à cette journée un aspect particulier mais les hommes et les femmes sont surtout heureux de se retrouver en famille en cette veille de fête, avec la journée sans travail et synonyme de repos.

Tout est prétexte pour festoyer – crédit : Abdelkrim MEKFOULDJI