Abdelkrim Mekfouldji

Un grand libraire nous quitte

« Les livres : la sève vivante des esprits immortels. »

Virginia Woolf

En ce lundi 16 mars 2020 s’est éteint un des plus grands libraires que compte l’Algérie ! M’hammed Benzekour, 72 ans, a été durant des décennies un distributeur en gros de livres sur la place de Blida. On venait de toutes les régions d’Algérie pour s’approvisionner. Il était toujours là, affable, gentil, souriant, conciliant avec les mauvais payeurs et ne perdant jamais espoir de voir un jour l’Algérien revenir à la lecture. « C’est une question de temps et il faut savoir donner du temps au temps », disait-il dans un grand sourire.


Tous les chefs d’établissement et enseignants des universités le connaissaient et aimaient échanger avec lui. En langue arabe ou française, il était à l’affût des nouveautés et se montrait fier de pouvoir les présenter à sa clientèle. Il encourageait la lecture et passait parfois dans les librairies de Blida afin de se rendre compte de visu de l’ambiance qui y régnait et n’hésitait pas à donner des conseils pour une meilleure image du produit à proposer aux lectrices et lecteurs.

La librairie de son nom, Benzekour, était un espace s’étalant sur deux niveaux, dépassant au total 1 200 m² de rayonnages. Les employés, comme des rats de bibliothèques, étaient toujours là, à ramener des livres, à établir les listes des commandes, dos courbés mais sourires aux lèvres. Cet espace de culture et de lettres devra survivre à la mort de M’hammed ! Il en va de la culture à Blida. Sidi Yacoub, le saint dont le mausolée se trouve juste au voisinage, devrait y veiller. Dix employés au minimum s’activaient dans cet « antre » du Savoir et cette ambiance devrait survivre.

Sa toute dernière activité avait été sa présence à la naissance de la fondation pour l’écriture de l’Histoire de Blida. Redouane Malek, à l’origine de la fondation, n’a pas tari d’éloges sur M’hammed Benzekour : « C’était un brave homme qui se souciait uniquement de culture. Blida le regrettera toujours. »

Le défunt n’hésitait pas à encourager la lecture en offrant des dizaines de livres aux établissements scolaires pour la distribution des livres de fin d’année. Son plaisir était de voir des chefs d’établissements affluer dès le mois d’avril pour la préparation des fêtes scolaires de fin d’année. « Un mouvement dense s’établissait pour déposer les titres choisis, les tomes entiers de l’un ou de l’autre des auteurs. De Diderot à Yasmina Khadra, d’El Moutanabbi à Waciny Laaredj, tout devait être présent sur les rayonnages… « Pourvu que le lecteur ne soit pas en manque ! » disait-il.

« À Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons. » Repose en paix M’hammed.

Sur le Bd Lotfi, vers la librairie Benzekour. Ph Mekfouldji
En compagnie d’un frère. Ph. Mekfouldji
Au pied du coin de livraison dans sa vaste librairie. Ph. Mekfouldji
Toujours souriant… une marque de fabrique. Ph. Mekfouldji
À la librairie « L’Alambic », disparue depuis. Ph. Mekfouldji
M’hammed Benzekour, un brave homme. Ph. Mekfouldji


Une fondation pour l’Histoire de Blida

« Patience ! Avec le temps, l’herbe devient du lait. »

Proverbe chinois

Samedi 28 décembre. Temps printanier à Blida ! Les bénévoles travaillant sur l’Histoire de Blida arrivaient les uns après les autres au Clean Hôtel, un hôtel de création récente, coquet, bien situé au centre-ville de Blida tout en restant à l’écart de la grande circulation de voitures et des deux vélos motorisés faisant la réputation des artères de la ville à travers toute l’Algérie. Il faut dire que la cinquième ville du pays de par le nombre de sa population -plus de 300.000 habitants- et du flux incessant des visiteurs d’un jour sans évoquer le statut quelque peu fondé d’une ville-garnison assurant les arrières de la capitale Alger.

Cour d’une grande maison à Blida. Ph. Mekfouldji

Justement, cette dernière fonction qu’on lui reconnaît presque confidentiellement, laisse arriver des milliers de familles s’installant pour au moins quatre années dans les cités de la ville situées juste au périphérique et faisant la joie des commerçants, notamment à Zabana et Bab D’zaier.

Blida devenue un grand centre urbain. Ph. Mekfouldji

La rencontre de ce samedi se voulait une mise au point avant la seconde grande rencontre ouverte au public et prévue dans une quinzaine de jours. La période précédant la colonisation française et, plus précisément, l’arrivée des Ottomans à Blida, a été expliquée dans ses grandes lignes par Mr Hasni, revenant jusqu’à l’origine des Senhadja, provenant du Sénégal pour certains et de citer la Smala d’Abdelkader, les Zénètes avec leurs chameaux, les Berbères comme cavaliers, en ayant la précaution de citer des chercheurs, des historiens, des soldats comme références et notamment le premier d’entre eux, c’est-à-dire Ibn Khaldoun.

Mr Hasni défendant sa thèse. Ph. Mekfouldji

Cette ville chantée par nombre de troubadours et d’artistes manque cependant d’une Histoire à léguer aux futures générations, une Histoire qui réconcilie les autochtones avec leur ville, une trace qui apporterait une confiance et une sérénité aux nombreux Blidéens reprochant déjà nombre de manques aux « lettrés » natifs de la ville ou tout simplement amoureux de cette dernière.

Mr Rebbache emboîtera le pas au premier intervenant afin d’assurer la charnière avec la présence ottomane dans la capitale de la Mitidja. Il évoqua les grandes lignes à travers les mutations subies à cause des guerres, l’utilisation des tribus Makhzen, berbères et arabes, sur place pour la collecte des impôts et expliquera quelque peu l’émigration vers le Nord des tribus arabes et zénètes par la misère, la sécheresse, les calamités, les luttes intestines et inter-tribales sans oublier le rôle prédateur -razzia, rapines- de ces mêmes tribus.

Rebbache (à gauche) se spécialise dans la présence ottomane à Blida. Ph. Mekfouldji

Mr Lourdjane entamera son intervention sur une trace de civilisation et d’industrie aux X° et XI° siècles, surtout à Khazrouna, à l’entrée actuelle de la ville de Blida. Une cité qui fut productrice de lin, de blé expliqués par les nombreux moulins existant à l’époque le long de l’oued Beni Azza.

Mr Lourdjane, revenu récemment de Turquie. Ph. Mekfouldji

Mr Bendifallah, membre du groupe, demanda l’autorisation de partir non sans avoir obtenu l’autorisation d’inclure un chapitre sur les activités sportives dans la région, lui-même ayant été champion d’Afrique en lancer de disque et de marteau, et exercé sa force en basket ball et en hand ball.

Mr Bendifallah. Ph. Mekfouldji

Mr Foufa, présent avec son épouse, universitaire et spécialisée dans l’histoire de l’architecture, insista, tout autant qu’elle, sur la nécessité de citer les références sur tout ce qui peut être trouvé sur l’Histoire de la ville. À titre d’exemple, la date de la création de la ville de Blida remonterait à 1519-1521 et non en 1534. Des détails seront présentés lors de la plénière de la mi-janvier.

Mr Foufa quelque peu soucieux. Ph. Mekfouldji

Mr Redouane Malek, responsable du panel, met fin à la rencontre plus de trois heures après son début, en annonçant que la Fondation Sidi Kebir verra bientôt le jour et que toutes les démarches auront alors un cachet officiel, avec l’espoir d’une domiciliation de la dite fondation dans une ancienne maison du centre historique de la ville.

Mr Malek et sa gestuelle devenue légendaire. Ph. Mekfouldji


Blida, le train de l’Histoire démarre

« Notre vie vaut ce qu’elle nous a coûté d’efforts. » Mauriac


Troisième rencontre et le train s’emballe déjà pour ce qui devra être la première pierre de l’édification de l’Histoire d’une ville chère à des centaines de milliers de gens de Blida, de la région de la Mitidja, d’Algérie et de la nombreuse diaspora installée sur les rives de Marseille, à l’intérieur de la France, même de la lointaine Montréal. Réfléchir sur le rôle de la société civile jusqu’à ce jour, la sensation d’appartenir à une ville où l’errance colle à nombre de lettrés et de natifs, où la culture devrait désormais prendre ses lettres en gros caractères et l’urgence –voire l’obligation- de création d’une fondation à laquelle vont converger les forces vives de cette plaine généreuse qui avait vu au fil des décennies l’installation de grandes familles issues de régions comme Laghouat, Médéa, Ghardaïa et qui avaient trouvé alors une ville ouverte « malgré ses portes légendaires », la tâche est redoutable.


Cette troisième séance a vu la présence surprise de Bendifallah Ahmed, l’ancien champion d’athlétisme et qui a la ville de Blida collée par ses histoires et légendes à ses entrailles ; il y eut également l’assistance –attendue- de l’architecte et universitaire Bourhane Foufa, membre du panel et qui précisera, ou remettra dans le droit chemin, des croyances comme le nombre de portes de la ville et leur emplacement exact, se référant à des plans cadastraux établis moins de vingt ans après la conquête du pays par la France.


Un long débat a porté alors sur les priorités d’une table des matières que Rachid Lourdjane a tracé et à laquelle il tient. Les Habous, le Courrier consulaire, les archives à fouiller dans plusieurs régions de France et en Turquie, y mettre les moyens pour l’achat de droits, les contradictions décelées dans le livre « unique » de Trumelet pour une période et celles de Ibn Khaldoun pour une autre, les tremblements de terre successifs et les véritables emplacements des nouvelles fondations de la ville et la nécessité de mettre sous scellés les archives de la ville, entre autres celles laissées par l’administration française à l’indépendance du pays, en 1962. M. Foufa rappellera à juste titre qu’un plan permanent du site historique de Blida « dort » dans les tiroirs du ministère de la culture, lequel considère qu’il n’y a rien à classer à Blida.  Ainsi, des biens disparaissent comme des tableaux d’artistes, une fontaine datant de l’ère Ricci, fin du XIX° siècle, des bains maures d’avant l’occupation française laissant place à des immeubles où l’âme du bâti ancien a désormais disparu.

Beaucoup de travail que la patience démontrée par Redouane Malek et son équipe saura transformer en non pas un livre mais plusieurs, au grand plaisir d’un lectorat local plus qu’intéressé.  
Redouane Malek, coordinateur du panel
Des membres du panel Histoire de Blida

Membres ayant à coeur d’écrire cette Histoire tant souhaitée.

Débats parfois disputés
Lourdjane et Martinez


Il est plus que temps d’écrire l’Histoire de Blida

Un collectif pour l’écriture de l’Histoire de Blida vient de naître en ce mois de novembre de l’année 2019.

« Les gens t’ont appelée Blida et moi je te nomme Wrida (la rose). »

Sid Ahmed Benyoucef

Comment écrire l’Histoire d’une ville qui a tant donné à travers les siècles et dont seulement des bribes parviennent, à la fois oraux et écrits ? Ces dernières sources demeurent rares et il est plus que temps de se pencher sur tout ce qui se rapporte à la ville fondée – selon ce qu’on en sait aujourd’hui – par Sid Ahmed El Kebir.

Sidi Kebir, au voisinage du mausolée.

Il y eut à la conquête de Blida par la France au mois de novembre de l’année 1830 un immense et irréversible dommage à travers la perte de précieux manuscrits détenus par des familles et des lieux de culte tels les mosquées Ben Saâdoun et El Hanafi. Des historiens et des géographes, des sociologues et des chercheurs sont bien passés par cette contrée mais un silence de plomb couvre les époques d’avant l’occupation française.

Redouane Malek, à la tête du collectif et initiateur du projet, aux côtés de membres du panel.

Il s’agit pour ce collectif de dresser un état des lieux, de questionner les ouvrages -rares- comme ceux de Léon l’Africain, El Bekri, El Idrissi et se pencher d’un œil critique sur le grand ouvrage de Trumelet, le seul demeurant une référence fiable de nos jours. Cependant, les mythes et les légendes pourront trouver des explications à la lumière des moyens modernes d’investigation et nombre d’historiens et de chercheurs vont prêter main forte à ce collectif afin de laisser pour les générations actuelles et à venir un ouvrage pouvant être une référence à partir de laquelle d’autres œuvres, fruits d’investigations plus poussées, notamment en Espagne andalouse, en France, en Turquie et ailleurs donneront l’étoffe scientifique d’un espace, d’une région chère à nos yeux.

Denis Martinez expliquant un détail de la rencontre de samedi.

Cette initiative voit le jour pratiquement 500 ans -cinq siècles- après la naissance d’une trace de vie concrète pour l’Atlas blidéen et des personnes ayant uniquement l’amour de cette ville comme pilotage de cette « embarcation » se déclarent ouverts pour toute collaboration, aide, suggestion allant dans le sens de l’écriture de l’Histoire de cette ville qu’ont chantée des noms prestigieux qu’il est encore prématuré de citer.

Djamel Rebbache, passionné de Blida.

Écrire cette Histoire de la ville est urgent, avant que d’autres pans de l’Histoire disparaissent à jamais ! Des hammams, des maisons, des vestiges de périodes datant d’avant l’occupation française ont été emportés par l’irresponsabilité d’hommes, Français et Algériens, ayant eu à prendre en charge les destinées de la ville. Il ne faut pas que cela continue !

Comment l’Histoire s’efface…

Il est donc grand temps d’intervenir et c’est ce que ce collectif compte faire.


L’action culturelle se meure à Blida

« Tout acte est culturel. »

Le peintre plasticien Denis Martinez, rencontré ce mercredi 6 novembre à Blida, s’est montré en peine devant l’absence d’animation culturelle dans sa ville d’adoption.

Artiste qui laisse pointer sa tristesse
Ph. Mekfouldji

 « Rien ne me rappelle les années fastes de 60 et 70. Où est Abderrahmane Setofe ? Depuis sa mort et les changements subis par la ville et même le pays, rien ne bouge du côté culturel. On ne connaît que la musique andalouse ! » Il renchérit : « Placette Ettoute regorgeait de jeunes et moins jeunes qui devisaient spontanément sur le devenir du pays, qui organisaient des tables rondes sans y être invités. » Pour l’artiste, « Blida se devrait de se réveiller ! La matière est là, je veux dire la jeunesse. Pourquoi cette énergie juvénile ne pense qu’à aller se faire tuer en mer ? Combien de jeunes échappent à la voracité des eaux et des requins ? Qu’est-ce qui empêche les responsables de la ville d’attribuer des espaces à ces jeunes pour qu’ils s’éclatent, qu’ils expriment leur ras-le-bol à travers des pièces de théâtre, de la musique, de la peinture, du mime, de la chorale ? »

Des roses venues de la ville de Blida. Ph. Mekfouldji

La matière première, pour Martinez, demeure l’humain, « c’est une pâte que nous pouvons modeler à notre guise et lui faire aimer cette terre nourricière, ces montagnes, ce littoral, ces villes dont l’âme a disparu. »  L’implication des parents et du monde de l’éducation est plus qu’un cri d’alarme au moment où le XXIème siècle est bien entamé.

Des fleurs venus d'une pépinière de la ville
Des enfants qui ne demandent qu’à s’éclater. Ph. Mekfouldji

Pour le Blidéen d’adoption, il suffit de quelques espaces, peu de moyens et des hommes de bonne volonté pour redorer le blason d’une ville qui a enfanté tant d’artistes. Il n’y a qu’à évoquer Baya, Dahmane Benachour, Abdelkader Kessoum et d’autres que nous n’allons pas citer tous.

C’est vrai qu’une ville de plus de 300 000 habitants se doit de posséder un théâtre, une galerie, des salles de projections. Denis Martinez citera Tlemcen où il avait séjourné dernièrement et « qui renaît à la chose culturelle, Tizi Ouzou et toute la Kabylie où des manifestations culturelles imposent leurs présences et la population suit, voit, lit, achète. En un mot, la chose culturelle fait partie du quotidien et il n‘est nullement attendu que des responsables fassent bouger les choses. »

Denis Martinez explique à des enfants scolarisés l'importance du trait dans l'écriture.
Le peintre au contact des enfants. Ph. Mekfouldji