Abdelkrim Mekfouldji

le français, quel statut ?

En Algérie, le citoyen se trouve parfois, si ce n’est souvent, désorienté devant le statut des langues en présence : l’arabe, l’amazigh et le français. Depuis l’indépendance du pays en 1962, le choix de la langue arabe comme langue officielle allait -presque- de soi mais les habitudes dans les milieux professionnels persistaient avec l’usage de la langue française dans toutes les démarches et documents à remplir. En 1970 a été instaurée l’obligation de l’utilisation de la langue arabe avec instauration systématique des cours d’apprentissage de la langue arabe pour les cadres dans les administrations et les banques. Au ministère de la justice, il a été fait obligation de plaider en arabe et il y eut des scènes inoubliables : un avocat algérien qui se faisait traduire par un autre algérien dans les tribunaux et la qualité s’en fit ressentir.

Salle de cours de langue à Blida
Salle de cours de langue à Blida

Au fil des années, la langue arabe prenait le pas sur le français comme langue véhiculaire jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix où un mouvement inverse se faisait ressentir : la langue française reprenait son statut dans les universités, notamment pour toutes les spécialités scientifiques et technologiques, au motif que la documentation était absente en arabe.
Des cours sans contrôle
Des cours sans contrôle
Le rêve de feu président Boumedienne, des ministres Kharroubi et Naït Belkacem prend des coups chaque année. Aujourd’hui, même les soutenances de thèse se font en langue française, en arabe dialectal… « pourvu que le message passe » se défend un des inconditionnels du plurilinguisme. L’avocat retrouve sa verve mais ce n’est plus le niveau d’il y a cinquante ans.
Jeunes apprenants
Jeunes apprenants

Lycéens et étudiants s’inscrivent en masse dans les cours d’apprentissage du FLE (français langue étrangère) pour se préparer aux études supérieurs dans les filières dites nobles : médecine, chirurgie dentaire, ingéniorat,… Un jeune algérien arrivé en fin de cycle secondaire n’excelle dans aucune des langues sensées être apprises dans les différents cursus : arabe, français et anglais. Des cours de soutien deviennent obligatoires pour celles et ceux qui veulent poursuivre de longues études à l’université et même à l’étranger.
Alphabétisation en FLE
Alphabétisation en FLE

Cela implique l’ouverture en nombre et sans contrôle de la qualité d’écoles de langues où l’Administration algérienne n’a pas son mot à dire : la plupart de ces écoles assurent des cours du soir dans des appartements, des villas, des hangars ; aucune de ces écoles n’est reconnue mais cela n’empêche pas leur administration de délivrer des attestations de niveau. Certaines, une minorité, inscrivent leurs apprenants aux examens du DELF et du DALF, des examens reconnus par la France et qui sont institués comme préalable pour des études en France.
Cours de FLE
Cours de FLE

A Blida, ville de 200.000 habitants, il est comptabilisé au bas mot une vingtaine d’écoles de langues qui ne dépendent ni du secteur de l’éducation nationale ni de celui de la formation professionnelle. Les assurances des étudiants et des enseignants sont absentes, les normes de sécurité des lieux sont inexistantes et il faudra sans doute, nous ne le souhaitons pas, un quelconque incident pour mobiliser les pouvoirs publics.
Promotion après promotion
Promotion après promotion

50 ans après l’indépendance du pays, la population pourrait être cataloguée de bilingue. On délivre des certificats médicaux dans les deux langues, tout comme les ordonnances. La Kabylie se targue de délivrer des documents d’état civil en français alors que toute le reste du territoire national le délivre en langue arabe.


Laghouat, à 430 km d’Alger

Plein sud, juste après les débuts de terre ocre, terre sèche, dénudée, loin des montagnes vertes du Titteri, c’est Laghouat.

Vers Laghouat
Vers Laghouat

On dit que c’est la porte du désert mais la population locale parle plus de porte vers les Nord, signifiant que les Laghouatis ont la tête tournée vers la mer lointaine, la grande bleue. Pour arriver à la ville, il faut passer par Djelfa et ses moutons, l’alfa qu’on récoltait pleins les wagons d’une ligne ferroviaire qui n’existe plus.

On passe devant des campements de nomades
On passe devant des campements de nomades

La route nationale Une, sensée traverser le large territoire algérien, plus de 2.000.000 de kilomètres, sur toute sa longueur, passe par la steppe et la ville chère aux Baghdadi, Djoudi, Benselama, Hassani… Des nomades peuplent les environs en nombre réduit, une politique quelque peu voulue par l’Etat algérien qui peut alors mieux contrôler les transhumances.

nomades et citadins
nomades et citadins
Ville de Laghouat, en bas
Ville de Laghouat, en bas
Musée

L’oued M’zi qui délimite la ville, la séparant de l’étendue du désert algérien, le Sahara, a longtemps figuré comme la rivière donnant naissance au Nil selon Juba et qui se serait caché, selon une autre source, pour réapparaître en Mauritanie.
De ses anciennes constructions, il ne reste quasiment rien, la ville ayant été saccagée dans les années 1850, après sa prise par l’envahisseur français. Une ville s’éleva alors selon l’architecture et les intérêts de la France.

Le général Marguerite lui imposera un style et lui donnera le cachet de porte du Sud algérien. Aujourd’hui, ses habitants la veulent tournée vers le Nord, à travers l’émigration de nombre de familles vers Médéa, Blida et Alger, les échanges commerciaux avec ces villes et une constante écoute vers tout ce qui a trait à la modernisation, sans toutefois oublier les traditions ancestrales. Irrigation, installation d’entreprises productives de transformation, donnèrent à la ville une stratégie géographique dont la population tire aujourd’hui bénéfice : construction de centres universitaires, hôpitaux, logements de grand standing et réservation d’une grande zone d’activités industrielles pourvoyeuse de main d’oeuvre et réduisant le taux de chômage.

Laghouatis fiers de leur ville
Laghouatis fiers de leur ville

L’aspect culturel n’est pas en reste avec Abdallah Ben Kerriou né en 1871, fils de Bachagha et qui demeure l’un des plus grands poètes populaires du XIXe siècle. Avec Hayzia de Ben Guittoun, Gamr Elleil compte parmi les joyaux de la poésie amoureuse saharienne. Les Laghouatis tiennent beaucoup à cet héritage et toutes les célébrations familiales locales laissent deviner ce goût de l’ancien, du traditionnel sans que les jeunes oublient qu’ils doivent s’arrimer au navire du XXI°siècle.

Tenue vestimentaire locale
Tenue vestimentaire locale

Difficile pari pour une ville où l’urbanisme n’a pas encore donné à la ville son architecture propre. Les jeunes s’y emploient à travers des associations très actives.

Des jeunes ouverts sur les technologies
Des jeunes ouverts sur les technologies


Sétif championne d’Afrique des clubs en football

L’équipe de football de l’Entente de Sétif –ESS– a pu réaliser l’exploit de remporter pour la première fois le titre de champion d’Afrique des clubs champions en battant ce samedi 1er Novembre (fête nationale algérienne du début de la guerre d’indépendance) au stade de Tchaker de Blida le Vita Club du Congo après un match nul (1-1) et ayant tenu en échec le club à l’aller (2-2).
C’est l’ES Sétif qui avait ouvert le score en seconde mi-temps avant d’être rejoint mais a su maintenir l’adversaire jusqu’au coup de sifflet final.
Les milliers de jeunes qui avaient fait le déplacement depuis la ville de Sétif -300 km- étaient tout heureux mais à la sortie, il n’y avait pas suffisamment de moyens de transport pour les ramener dans leur ville surnommée Aïn Fouara. Une nuit blanche à Blida sous l’œil vigilant des forces de l’ordre mais, malheureusement, aucun comité de soutien ou de prise en charge pour occuper ces amoureux du football qui avaient, juste une heure après la fin de la partie, l’œil hagard, fatigués par plus de 24h d’éveil. Ils avaient fait leur entrée au stade bien tôt le matin alors que le match ne commençait qu’à 19h30.
La FAF (Fédération Algérienne de Fotball) devrait créer une commission pour ne pas abandonner à leur sort ces jeunes non accompagnés et qui sont un danger pour leur propre personne d’abord.

Jeunes supporters de l'ESS à la fin du match. Crédit photo : Mekfouldji
Jeunes supporters de l’ESS à la fin du match. Crédit photo : Mekfouldji

Le long du boulevard Boudiaf, situé entre l’arène du stade Tchaker et la gare ferroviaire, les supporters de l’Est du pays marchaient à pied en une longue file et, volontairement, n’adressaient pas la parole aux jeunes de la ville de Blida, ne répondaient point aux remarques négatives de toute nature et n’osait que les « merci, merci » pour ceux qui les félicitaient. Drôle de cohabitation entre les jeunes des différentes villes. Un jeune sétifien, Nabil, en voulait au comité de supporters qui n’a pas daigné les prendre en charge à la fin du match, tout occupé à vouloir pénétrer dans le stade pour jouir avec les joueurs de ces instants mémorables.
Supporters de Sétif heureux
Supporters de Sétif heureux

Ce jour du 1er Novembre est férié en Algérie, du fait de la commémoration du 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance en 1954. 7 années après, l’Algérie était libre… 60 ans après, ces milliers de jeunes se sentent-ils réellement libres, réellement heureux de vivre dans ce pays ? On parle de plus de 25% de jeunes chômeurs ! Que réserve l’avenir à tous ces Algériens qui, instruits ou non, possédant des diplômes ou non, n’arrivent plus à trouver un travail, un salaire et doivent courir les entreprises et les administrations pour tenter de s’adjuger un contrat à durée déterminée avec un salaire qui frôle le seuil minimum.
Pour l’instant, place à la victoire des joueurs de Sétif, à l’allégresse d’une indépendance retrouvée en 1962. « On discutera après de tout ce qui ne va pas… » a laissé dire un supporter un peu plus âgé.


Mohamed Ben Allel Sidi Embarek, aussi glorieux que Abdelkader ?

Et si on changeait le contenu des manuels d’histoire de l’Algérie pour la période de résistance à l’invasion française ? C’est ce qui semble être dit d’une manière très convaincante par un des descendants de Mohamed Ben Allel Sidi Embarek, Ahmed Mebarek Ben Allel, diplômé de sciences politiques et auteur du livre « La tête dans un sac de cuir » co-écrit avec Nicolas Chevassus-au-Louis, paru aux éditions du Tell en 2011 et réédité depuis.

Stèle bientôt édifiée à Koléa, à l'entrée du pôle universitaire
Stèle bientôt édifiée à Koléa, à l’entrée du pôle universitaire
Reçu au siège de l’association Sidi Ali Embarek à Koléa et à l’intérieur du domicile de l’auteur, accompagné de son ami Rachid Boukhari, auteur d’un livre sur un chantre de la musique populaire dite chaâbie, « Bourahla, le style kheloui » paru également aux éditions du Tell, une maison rappelant les vestiges de l’Algérois des années de la Régence d’Alger avec les cuivres, les plateaux, les chandeliers, la faïence jusque dans le salon où trônent les portraits de l’ascendance de Ahmed Mebarek. Dans les années trente du XIX°siècle, le saint gardien de la zaouia fondée à la fin du XVI°siècle à Koléa était Hadj Mahieddine Es-S’ghir, l’oncle de Ben Allel, un sage parmi les sages qui voyait en Ben Allel le digne successeur pour continuer la tradition maraboutique.
Entrée de Koléa, la zaouia des Embarek
Entrée de Koléa, la zaouia des Embarek
C’était le 23 juillet 1830 qu’eut lieu, avec forts documents à l’appui, la grande assemblée à Koléa où nombre de tribus de la province d’Alger représentés par leurs chefs vinrent demander conseil à El Hadj Mahieddine Es-Sghir et proposer de « céder » Alger à El Hadj Mahieddine Es-S’ghir, seul à même de préserver les tribus arabes de l’anéantissement, en concluant un « contrat » avec l’envahisseur français. Ce dernier aurait même proposé le titre d’ « Agha » des Arabes en la personne du général Berthezène venu spécialement à Koléa.
Porte d'entrée du lieu où repose Sidi Embarek
Porte d’entrée du lieu où repose Sidi Embarek
Toute la smala des Embarek sera emprisonnée à la Casbah alors que les Embarek, le mufti et le cadi de Koléa ne s’y attendaient point à un tel sort. Hadj Mahieddine Es-S’ghir avait fui à Miliana. C’était l’étonnement après avoir pourtant reçu en juillet 1831 le titre d’agha et tout ce qui allait avec : argent, garde personnelle, escorte et autorité en échange de sa fidélité à la cause des Français. Tout changea avec la nomination du duc Savary de Rovigo et les massacres perpétrés par ce dernier à la moindre résistance des tribus arabes. Le baptême de feu de Ben Allel aura lieu le 2 octobre 1832 pour se terminer après de multiples combats aux côtés d’Abdelkader dont il était un des lieutenants les plus guerriers, en novembre 1843. Le général Bugeaud déclarera qu’il en était fini de la résistance algérienne avec la mort de Ben Allel. Il y eut, entretemps, le traité de la Tafna où l’émir Abdelkader rendait les armes devant le général Bugeaud le 30 mai 1837, en bénéficiant des terres à l’ouest et au centre du pays, Koléa demeurant sous la coupe des Français.
des saints et des guerriers, telle est la famille Embarek
des saints et des guerriers, telle est la famille Embarek

L’auteur du livre, dans un échange acéré, voulait mettre l’émir au second plan, « sinon comment expliquer qu’à cette époque, cet homme puisse venir lever une armée au centre du pays s’il n’y avait pas Ben Allel et son oncle ? ». Ahmed Mebarek Ben Allel, auteurLe beau rôle est attribué à ses ascendants, sur la foi des témoignages oraux –cette fois- pour évoquer un échange –cf page 66 et suivantes- où il était proposé à Mahieddine Es-S’ghir de devenir le khalifa d’Abdelkader à partir de 1835. Cette alliance aura pour effet de combattre les tribus du Titteri qui avaient refusé l’allégeance puis d’affronter l’armée française et lui faire subir des défaites mémorables jusqu’à décider Paris à nommer de nouveau le maréchal Clauzel. Guerres entre tribus arabes, jalousies des uns et des autres avec les diverses nominations telles celle de El Berkani en 1835 puis la nomination du bey Benomar par les Français en 1836 après la prise de Médéa.
L’émir qui combattra la dissidence des Tidjani au Sud du pays avait nommé comme khalifa –son remplaçant- Ben Allel qui devait faire respecter par les siens le traité de la Tafna. L’auteur Ahmed Mebarek Ben Allel insistera sur le dilemme de Ben Allel quant à son allégeance au Pouvoir de l’émir ou sa démission. Il mourra les armes à la main après avoir accepté de rejoindre l’émir du côté de la frontière algéro-marocaine. Sa tête sera tranchée et exhibée par l’armée française afin de faire taire toute idée d’insurrection aux tribus du centre et de l’ouest du pays qui voyaient en Ben Allel leur guide et leur sauveur.
Il faudra sans doute replacer les années de combat de Ben Allel à travers le refus de la conquête française, aux côtés de l’émir Abdelkader dont le rôle est un peu « trop » mis en avant dans les manuels scolaires. M. Ahmed Mebarek Ben Allel prépare un second livre pour encore mieux faire connaître la smala des Embarek.


Benteftifa, un souvenir impérissable

Des hommes parmi les hommes, vulnérables, modestes, suant la simplicité, disparaissent un jour sans que la majorité d’autres hommes ne se rendent compte jusqu’au jour où on demande des nouvelles de quelqu’un au détour d’une circonstance rappelalnt une scène vécue justement en compagnie de cette personne. Et il leur est dit : « mais elle est morte ! »

Benteftifa, un homme intègre
Benteftifa, un homme intègre

Quoi ? Quand ? Comment ? Les questions qui viennent tout de suite à l’esprit, des questions sorties spontanément d’une bouche encore ouverte, surmontée de deux yeux eux-mêmes tous ronds et des sourcils en arc montrant davantage le degré de la stupéfaction.
Monsieur Sid Ahmed Benteftifa est de ce genre d’hommes qui est, telle l’eau à une juste température, coulant sur le corps d’un être humain : on ne la sent pas mouiller les parties d’un corps savourant le moment présent. Le sourire de M. Benteftifa est encore rarement égalé, fait de tendresse et de gentillesse. Il fut enseignant de langue française à l’école Casenave, aujourd’hui Ben M’rah, du nom du premier martyr de la révolution algérienne tombé dans la circonscription de Blida, un certain 8 mai 1945. A 72 ans moins quelques jours, il quitté silencieusement cette terre de Blida, au mois de novembre de l’année 2009, laissant sept enfants qui donneront à leur tour 17 petits enfants au sage Sid Ahmed. Il aimait –adorait- Aya et Douâ, âgées aujourd’hui respectivement de 14 et 10 ans, lesquelles en quémandant des bonbons se voyaient répondre parfois : « Ali Baba et les 40 voleurs me les ont pris »…Benteftifa et petites filles Douce introduction dans le monde des contes merveilleux berçant l’enfance, bien plus affectueux que le monde de l’Internet, du smartphone et autres gadgets qu’il faudra sans doute penser à éloigner des enfants en bas âge.
M. Benteftifa aimait les voyages, à travers les livres ou réellement puisqu’il avait foulé les sols du Canada, des USA, de Dubaï et autre France, ce dernier pays auquel il vouait un amour particulier. Les personnes de son âge lui connaissaient un autre amour à travers la moto, un sport qui revient au devant de la scène de par les multiples embouteillages et encombrements qui vieillissent prématurément celles et ceux qui les subissent…
En ce 24 octobre 2014, date du 5ème anniversaire du décès du regretté Sid Ahmed Benteftifa, une pieuse pensée à sa mémoire est demandée à ceux qui l’avaient côtoyé.